L’Avocat Général de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) propose, pour la détermination du droit à déduction d’une succursale qui réalise des opérations avec son siège, de faire une combinaison des règles de prorata de déduction applicables, d’une part dans l’Etat membre d’immatriculation de la succursale et, d’autre part, dans l’Etat membre du siège. Cette solution inédite, si elle est retenue par la Cour, pourrait limiter le droit à déduction des succursales.
La succursale française d’une société britannique, immatriculée et établie en France au regard des règles applicables en matière de TVA, réalisait :
La succursale française a déduit l’intégralité de la TVA ayant grevé les dépenses afférentes à ces deux catégories de prestations.
L’Administration fiscale française a estimé que la TVA ayant grevé des dépenses utilisées exclusivement pour les opérations internes réalisées avec le siège londonien, ne pouvait ouvrir droit à déduction. En effet, celle-ci a considéré que ces opérations étaient situées hors du champ d’application de la TVA.
Le Conseil d’Etat (CE), saisi d’un pourvoi par la société Morgan Stanley contre l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles du 27 janvier 2015, a rappelé la solution dégagée par l’ordonnance du 21 juin 2016, ESET (C-393/15 non publiée). Le Conseil d’Etat estimait que les dépenses engagées exclusivement pour des opérations internes réalisées avec le siège ne sont pas hors champ et ouvrent droit à déduction.
Cela étant le CE a sursis à statuer afin d’obtenir des indications quant aux modalités de détermination du prorata de déduction. Le CE demande à la CJUE, quel prorata de déduction doit être pris en compte : celui applicable dans l’Etat membre d’immatriculation de la succursale, de l’Etat membre du siège, ou encore un prorata de déduction spécifique, mixte, prenant en compte les règles applicables par les deux Etats membres ?
L’Avocat Général, Monsieur Mengozzi, propose de retenir les deux solutions suivantes :
1 – Lorsque les dépenses engagées par la succursale d’un assujetti, située dans un Etat membre (e.g. la France), sont exclusivement affectées à la réalisation des opérations du siège de cet assujetti, situé dans un autre Etat membre (e.g. le Royaume-Uni), l’Etat membre d’immatriculation de la succursale doit appliquer à ces dépenses le prorata de déduction de la succursale. Le prorata de déduction de la succursale devrait alors être déterminé en prenant en compte les opérations en aval réalisées par le siège avec les tiers, en fonction des règles applicables dans ledit Etat membre et, dans celui où est situé le siège de l’assujetti. Il s’agit donc d’un prorata de déduction mixte qui prend en compte les règles de déduction des deux Etats membres.
2 – Par ailleurs, lorsque les dépenses supportées par la succursale d’un assujetti, située dans un Etat membre (e.g. la France), concourent à la fois à la réalisation de ses propres opérations dans son Etat membre d’immatriculation et à la réalisation d’opérations du siège de cet assujetti, situé dans un autre Etat membre (e.g. le Royaume-Uni), dépenses mixtes, le prorata de déduction de la TVA devrait également être déterminé selon les mêmes règles exposées au point 1.
En d’autres termes, l’Avocat Général propose de faire une combinaison des règles de prorata de déduction applicables, d’une part dans l’Etat membre d’immatriculation de la succursale et, d’autre part, dans l’Etat membre du siège. Cela conduit en pratique à opérer un raisonnement en deux étapes :
Si la solution proposée par l’Avocat Général est retenue, alors il sera nécessaire pour les succursales de prendre en compte les règles de déduction applicables dans les deux Etats membres. Une telle solution ajouterait de la complexité et pourrait limiter le droit à déduction des succursales comme le concède l’Avocat Général.
L’Avocat Général ne se prononce pas sur la situation dans laquelle la succursale ne rend des prestations qu’à des clients français, néanmoins, les règles de déduction françaises devraient alors être applicables à cette situation en application des règles d’affectation.
Aussi, on peut se demander si l’Avocat Général aurait retenu le même raisonnement si la succursale n’avait pas opté pour la TVA sur les opérations financières en France. En effet, l’option pour la TVA des opérations bancaires, qui ne fait pas l’objet d’un traitement homogène au sein de l’Union Européenne, a été en pratique à l’origine de la question posée par le CE.
La date de l’arrêt n’a pas encore été publiée à ce jour, mais l’issue de cette affaire devra être suivie avec une attention particulière.